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Up the Gatineau! Articles

L'article suivant a été publié en anglais dans Up the Gatineau! Volume 49.

Notre terre à bois à Cantley

Hubert McClelland

Il y a quelque cent ans, à Cantley, une terre à bois1 mettait son propriétaire à l’abri du manque de combustible. Sur une terre de 100 à 200 acres, ou à proximité, il y avait presque toujours un « boisé ». Dans les débuts, le mazout et le charbon ne se trouvant pas facilement, un boisé assurait à la ferme pour toute l’année le combustible dont elle avait besoin, tant pour le chauffage que pour la cuisine.

Our Cantley Bush Lot
Sur cette photo d’Ernie Hyde de la vallée du ruisseau Meech, on voit comment nos chevaux étaient attelés et la sorte de traîneau que nous avions. Le harnais comprend notamment un acculoire, qui enveloppe la croupe des chevaux. C’est avec un chargement semblable que l’hiver nous descendions la colline rocheuse escarpée sur notre terre. 1945. GVSH 02589.050/45.

L’hiver, lorsque les vaches ne donnaient plus de lait, le cultivateur avait le temps de faire du bois, pour se chauffer, réparer son équipement (chariots, traîneaux à chevaux), ou en vendre comme bois d’œuvre ou bois à pâte. À Cantley, c’était surtout l’épinette, le sapin et le tremble (ou peuplier) qui fournissaient du bois à pâte. Avant l’arrivée des écorceuses dans les moulins à pâte et papier, les cultivateurs qui vendaient de l’épinette et du sapin comme bois à pâte étaient payés un supplément pour l’écorcer. C’était un travail pénible, qui se faisait à la main, avec un couteau écorceur spécial. Dans les coins marécageux, poussaient parfois de beaux bosquets de cèdre qu’on pouvait vendre pour faire des pieux, des clôtures, ou des bardeaux.

Chez nous, le boisé était à trois lots à l’ouest, à quelques kilomètres, sur un terrain vallonné, où se trouve aujourd’hui la Station-relais pour satellites de Gatineau. Il fallait que le sol soit bien couvert de neige pour sortir les billots du bois. Je me souviens d’avoir participé à ce travail dans ma jeunesse dans les années 50.

Après Noël, lorsqu’il y avait assez de neige, mon père, Trevellyn McClelland, prenait ses chevaux attelés à son traîneau pour ouvrir un sentier jusqu’à l’endroit du boisé où il allait faire la coupe. Pour plus de sûreté, ce travail devait se faire à deux, et parce qu’il fallait beaucoup de force pour couper les billes et les charger sur le traîneau.

Our Cantley Bush Lot
Voici la maison de ferme des McClelland où j’ai grandi, le long de l’autoroute 307 à Cantley. Photo : Trevellyn McClelland. Collection de la famille McClelland. GVHS 03038.045/59.

On se servait de haches, de sciottes et de godendarts pour ce travail. (Ce n’est que bien des années après la Seconde Guerre que la scie mécanique se répandit.) La sciotte se maniait seul, mais il fallait être deux pour le godendart, qui servait habituellement à abattre l’arbre qu’on venait d’entailler pour guider sa chute.

Combien de bois fallait-il pour se chauffer et faire la cuisine tous les jours de l’année? Tout tenant compte de l’été, car au plus chaud de la saison, la plupart des fermes avaient une « cuisine d’été », où on cuisinait souvent au pétrole, ce qui économisait d’autant le bois de chauffage.

Notre maison avait deux étages, avec quatre chambres à coucher et une salle de bain à l’étage, et une cuisine, une salle à manger et un salon au premier étage (avec un plafond de 11 pieds). Notre famille de cinq consommait de 11 à 12 cordes2 de bois pour se chauffer et faire la cuisine pendant 12 mois.

Mon père et son grand-oncle, William, devaient couper assez de bois pour former une pile de 30 à 35 pieds de long, 12 pieds de large et 4 pieds de haut. Cela représentait un chargement d’un peu plus d’une corde normale, qu’il fallait débiter en rondins de 12 pouces, fendre et empiler dans la remise pour la prochaine saison. En tout, il fallait presque 34 cordes de bois de poêle pour chauffer nos trois poêles durant l’hiver. Mais il faisait quand même froid au premier étage, et il arrivait que les canalisations gèlent les jours de grand froid.

Ce travail nécessitait plusieurs outils : des haches, à abattre et à fendre, une sciotte et un godendart. Il fallait aussi des coins pour garder le trait de scie ouvert pendant le sciage, ainsi qu’un tourne-billes (ou « cantouque ») pour tourner ou déplacer les troncs trop lourds à soulever.

On attachait des chaînes à crochets aux billes ou troncs pour les traîner à l’endroit où les charger sur le traîneau, ou pour les attacher au traîneau afin de les sortir du bois (les débusquer). On attachait aussi des petites chaînes, avec un crochet et un anneau au bout, à chacun des patins. Elles servaient de freins dans les descentes pour les traîneaux lourdement chargés.

Our Cantley Bush Lot
Une des rares photos de mon père, Trevellyn McClelland, à l’époque des foins, en train de se désaltérer au puits près du moulin à vent sur notre ferme. 1975. Collection de Hubert McClelland. GVHS 03038.046/59.

Il était essentiel d’avoir une bonne paire de chevaux, bien harnachés, pour tirer la charge. Le harnais comprenait par exemple un acculoire3, sangle qui enveloppait la croupe du cheval. L’acculoire permettait aux chevaux de freiner dans les descentes, empêchant le traîneau d’aller plus vite qu’eux, pour éviter que le conducteur perde la maîtrise de son chargement. Les chevaux pouvaient freiner ou ralentir le chargement en s’appuyant contre l’acculoire, qui faisait ainsi pression sur le timon du traîneau.

Nous utilisions des traîneaux doubles appelés “bobsleighs », comportant deux trains reliés entre eux avec une plateforme pour empiler le bois. Au train avant s’articulait le timon, longue pièce de bois à laquelle les palonniers4 étaient fixés. On attelait un cheval de chaque côté du timon, ce qui permettait de contrôler les mouvements du traîneau, notamment de tourner à droite ou à gauche, ou de reculer.

Pour avoir assez de bois pour l’hiver, dès le début de janvier, mon père et mon oncle se rendaient dans le bois presque tous les jours pour couper un chargement de bois. Mais seulement après s’être occupés du bétail et avoir sorti le fumier. À la fin février ou au début mars, s’il y avait eu suffisamment de beau temps pour aller bûcher, ils avaient coupé leurs 11 ou 12 cordes de bois, et les avaient charroyées et empilées dans la cour de la ferme.

Vers la fin mars ou au début avril, ils faisaient affûter la scie circulaire et installaient le banc de scie devant la pile de bois. La scie était actionnée par un moteur à essence fixe, refroidi à l’eau et muni de deux grands volants. Les volants maintenaient la vitesse du moteur pendant le sciage de la bille posée sur le banc de scie. La roue motrice était reliée à la scie par une courroie d’entraînement.

Au printemps, nos voisins nous aidaient à tour de rôle à scier les troncs d’arbre, en rondins d’un pied de long. À 3 ou 5 hommes, pour faire marcher la scie et le moteur, il fallait normalement une bonne journée pour couper en rondins notre pile de 11 ou 12 cordes. Les morceaux de bois trop gros pour le poêle devaient être fendus pour en réduire la taille et les rendre plus faciles à manipuler dans la cuisine.

Aujourd’hui, je me sers uniquement d’une scie mécanique pour couper du bois, mais il y a bien des années, on se servait des outils suivants pour bûcher (photos prises en 2023).
Our Cantley Bush Lot
Comment utiliser une sciotte (ou scie à bûches). GVHS 03038.049/59.

 

Our Cantley Bush Lot
Mon frère Bob et moi montrant comment utiliser un godendart. GVHS 03038.050/59.
Our Cantley Bush Lot
Tourne-billes (ou « cantouque ») pour déplacer les billes. GVHS 03038.049/59.

 

Our Cantley Bush Lot
Ici, Bob tient une petite chaîne qu’on mettait aux patins d’un traîneau chargé au sommet d’une colline abrupte pour servir de frein dans la descente. Une fois au bas de la colline, on l’enlevait avant de continuer. GVHS 03038.051/59.

Chez nous, mon père et l’homme engagé mettaient plusieurs jours à faire ce dur travail, jusqu’à ce que la pile soit prête à ranger dans la remise. Donnant sur l’entrée de la maison, la remise faisait 12 pieds sur 15, et était ouverte d’un bout. Il m’arrivait de donner un coup de main pour y ranger le bois, que nous empilions jusqu’à 8 ou 9 pieds de haut. L’automne et l’hiver, tous les jours après l’école, c’était ma tâche de remplir la boîte à bois de la cuisine à côté du poêle.

On ne fait jamais de coupe claire dans un boisé. En suivant un cours de gestion des boisés pendant mon baccalauréat en Sciences agricoles, j’ai appris qu’en évitant la surcoupe ou la coupe claire, on pouvait facilement récolter une corde de bois par acre et par année, à condition de bien gérer son boisé. Depuis 18 ans, sur mes 20 acres de pâturage, où le bois est peu fourni, je fais la coupe d’arbres morts, ormes, frênes et autres, sans réduire le nombre d’arbres ni la croissance des autres végétaux.

  1. Appelée aussi boisé de ferme.
  2. Une corde de bois « normale » faisait 4 pieds de haut, 8 pieds de long et 4 pieds de large. Une corde de bois de poêle ne faisait que le tiers : 4 pieds de haut, 8 pieds de long et 16 pouces de large.
  3. Appelé aussi “avaloire”.
  4. Barre tournante ou pivotante à laquelle étaient fixés les traits de l’attelage, permettant de tirer un chariot, ou une charrue, par exemple.

Volume 49 table of content.

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